Le 4 avril 1967 à 22h10, les téléspectateurs de la deuxième chaîne de l’ORTF — qui n’émet que depuis trois ans sur l’ensemble de la métropole — découvrent l’épisode Meurtre par téléphone, présenté dans les journaux comme « un film policier de la série Chapeau melon et bottes de cuir ».
Autant dire que personne ne connaît ce programme, et que par conséquent, personne ne l’attend. D’ailleurs, personne ne connaît le titre original The Avengers, puisqu’il a été totalement effacé des copies au profit du titre français reproduit ci-dessous. On comprend rapidement qu’il s’agit d’un feuilleton venu d’outre-Manche, doublé et adapté pour le public français.
Pourquoi ce titre ? Tout est dit dans les premières images du générique de la période Emma Peel en noir et blanc : un chapeau melon, symbolisant John Steed, posé au sommet d’un porte-manteau perroquet, et, à ses pieds, une paire de bottes de cuir représentant Madame Peel. Une manière simple et visuelle de présenter les deux héros, par leurs attributs les plus emblématiques.
La plupart des copies de la saison 1965-1966 porteront ce logo, spécialement conçu par la société Jean-Paul Blondeau Productions à Paris (également connue sous le nom de TéléArt). Cette société de doublage, qui travaille pour l’ORTF mais aussi pour d’autres diffuseurs francophones, se verra confier l’adaptation d’autres séries comme Alias le Baron, Destination Danger ou encore Mission : Impossible… Geneviève Poncet Leforestier (dite Lili, 1917-2010, la mère d’un célèbre chanteur) était chargée de l’adaptation de la série.
J’ai adapté 34 épisodes de la période Emma Peel / Tara King. Mais j’ai toujours préféré les premiers, car je trouvais que la première (Emma Peel) était remarquable, alors que la seconde (Tara King) n’avait pas la même classe. Quant aux derniers épisodes, avec une fille très mince, je n’en ai fait qu’un ou deux. Mais tous les comédiens étaient très bons, et moi, j’ai toujours été en admiration devant la façon dont Macnee était habillé.
Les Vengeurs, traduction littérale du titre original, ne voulait rien dire au regard du concept des épisodes présentés. En plus, ce titre était nouveau en France. Jean-Paul Blondeau, le responsable de la maison de production, m’a demandé de trouver un autre titre, mais je n’y arrivais pas. Finalement, c’est lui qui l’a trouvé. Il aimait les titres dans le style de Arsenic et vieilles dentelles et avait une approche très visuelle. Il s’est inspiré des caractéristiques des personnages…
Dans les années 60, les séries étaient diffusées par groupes de 13 épisodes. Lorsque la série arrivait, la date de passage à l’antenne était déjà fixée, si bien qu’il fallait aller très vite pour effectuer toutes les opérations de doublage et livrer un produit fini à temps pour la diffusion. C’est pourquoi un adaptateur recevait rarement les 13 épisodes d’un coup : on en avait généralement 4 ou 5.
Heureusement, les épisodes étaient indépendants les uns des autres, car on les recevait dans n’importe quel ordre. Vous savez, moi, je travaillais très vite et je travaillais sur machine. Donc, quand je rendais mon film, il était déjà synchronisé et prêt à enregistrer. Mais il me fallait bien quatre jours pour faire un Chapeau melon et bottes de cuir.
C’est également un métier pour lequel il faut avoir un grand vocabulaire dans sa propre langue, le sens du dialogue, bien sûr, et une grande résistance. Il faut toujours trouver la bonne tournure de phrase, en fonction de la personne qui parle. On ne peut pas faire parler un balayeur comme un évêque.
Maintenant (je ne critique pas, les temps changent), mais il y a eu une espèce de parti pris chez certains adaptateurs : celui de ne plus utiliser de phrases interrogatives complètes. On ne dira plus « As-tu fini ? », mais « T’as fini ? ».1
Ça peut convenir à certains personnages, à certains caractères, mais pas à tout le monde. C’est un genre. Ils pensent que cela fait plus « actuel ».
Il y a autre chose aussi dont il faut beaucoup se méfier : c’est l’argot. Rien ne vieillit plus vite. Regardez : pendant un temps, on disait « C’est terrible » pour signifier « C’est affreux », puis ensuite la même expression a fini par vouloir dire « C’est formidable »
Geneviève Leforestier – Source : Fanzine de Steed&co
















Preuve du soin apporté à l’adaptation : dans l’épisode La Poussière qui tue, en plein milieu de l’intrigue, alors que Steed rêve qu’il est shérif et qu’Emma Peel extrait une énorme balle de revolver de son corps, on aperçoit successivement deux avis de recherche écrits en français : « 10 000 $ de récompense à qui livrera à la police, vivant ou mort, PETER OMROD, recherché pour meurtre, vol et autres délits graves » et « Vivant ou mort, OLIVER MELORS, recherché pour meurtre et pour vol. »


À la fin de chaque épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, le nom de la société de production est indiqué. De plus, les crédits sont rédigés en français.
Au début des années 1990, il est question de sortir la série en VHS (cassettes à bande magnétique, pour les plus jeunes) chez EMI. Trois coffrets initiaux sont édités, chacun contenant trois cassettes regroupant trois épisodes : une cassette avec trois épisodes d’Emma Peel en noir et blanc, une autre avec trois épisodes Emma Peel couleur, et une dernière avec trois épisodes Tara King. Au total, ce seront onze coffrets qui verront le jour, incluant les épisodes inédits avec Honor Blackman, sous-titrés en français.
Cependant, certains épisodes d’Emma Peel en noir et blanc n’avaient visiblement pas été adaptés à l’époque (ou perdus ?). D’où la nécessité de doubler (ou redoubler) quelques inédits, toujours avec Jean Berger dans le rôle de John Steed (sa voix, légèrement vieillie entre-temps), mais avec cette fois Francine Lainé dans le rôle d’Emma Peel.
Quant au générique, on se contente d’un carton “CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR” créé par un effet vidéo imitant l’original. Dommage de ne pas avoir utilisé une police de caractères de la famille Compacta, si visuellement liée à l’identité graphique de la série. Le résultat n’est pas très heureux : on préfèrera nettement la version française originale à cette adaptation tardive. Sept épisodes de cette saison ont été doublés tardivement en 1993 sous la direction de Philippe Carbonnier par la Société de sonorisation de films – Studio SOFI –, d’après le Forum Doublage Francophone.
Cette adaptation concerne les épisodes suivants : Les Fossoyeurs, Le Fantôme du Château De’Ath, La Mangeuse d’homme du Surrey, Dans sept jours le déluge, Maille a partir avec les Taties, Un Steed de trop, L’héritage diabolique. À noter que l’incrustation du titre se faisait sur une image fixe, contrairement à l’adaptation originale, où les producteurs disposaient du film vierge de toute inscription.
Si sept épisodes ont été doublés (ou redoublés ?) dans les années 1990, pourquoi L’Heure perdue, Le Jeu s’arrête au 13 et Du miel pour le prince, qui avaient déjà été doublés dans les années 1960, se retrouvent-ils avec le lettrage moderne ? À cette question, nous n’avons pas de réponse.










Le générique de fin, lui, reste identique à celui de la série originale.
Si l’on prend la peine d’en parler, c’est pour une raison simple : ces adaptations ont totalement disparu des DVD et Blu-ray actuellement commercialisés. Pourtant, les tout premiers DVD édités en 2000 par StudioCanal proposaient, pour chaque épisode, la version française et la version originale en format 4/3 et en basse définition.
La dernière fois que ces génériques français ont été diffusés, c’était en 2001 sur M6. Par la suite, seule la version originale a été proposée. Cela semble correspondre au moment où la série a été remasterisée en haute définition.
C’est vraiment regrettable, notamment en ce qui concerne la première version française, qui était particulièrement soignée. Il faut bien reconnaître qu’il y a peu de chances pour qu’elle refasse surface un jour — et probablement pas en haute définition.
- Ce point est très intéressant. On peut ajouter par exemple qu’aujourd’hui, la négation est de moins en moins présente : on dit « ça va pas » au lieu de « ça ne va pas ». Or, les médias ont une immense responsabilité dans l’usage de la langue, et la manière dont ils l’utilisent leur confère un véritable rôle dans son évolution. En d’autres termes, il ne faut pas prendre les auditeurs pour des imbéciles. ↩︎
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