The Avengers au théâtre
Avant toute chose, clarifions les choses : The Avengers au théâtre, est-ce une bonne idée ? La réponse est donnée par Patrick Macnee lui-même :
Je leur ai dit que The Avengers était un produit conçu pour la télévision — pas même pour le cinéma — et que sa spécificité reposait sur l’écran de petite taille. C’était un peu désinvolte et improvisé, sans être fabriqué comme peuvent l’être les films de James Bond. Ceux-ci sont l’apogée de ce genre de folie légèrement cynique, superficielle, intense, extravagante et amusante. Le théâtre, lui, doit demeurer un lieu d’échanges d’idées, de dialogues, de personnages — et non un endroit de “whiz, bang, wallop” (bruit, éclats et fracas).
Patrick Macnee
Nous n’avons pas vu la pièce et ne pouvons donc juger du résultat. Mais, en effet, une scène de théâtre ne nous semble guère appropriée à ce type de spectacle.
Les informations dont nous disposons proviennent des travaux considérables de Dave Rogers et d’Alan Hayes, du site The Avengers Declassified (archive), aujourd’hui malheureusement disparu. Ce qui, au vu de sa grande qualité, est fort regrettable.
Création de la pièce
Tout commence en avril 1971, deux ans après la fin de la série. John Mather, ancien directeur européen de l’agence William Morris (influente agence artistique américaine), négocie avec ABC/EMI les droits pour transposer The Avengers sur scène au Royaume-Uni. Son ambition, selon ses propres mots, est de « propulser le théâtre britannique dans les années 1970 ».
Oui, vous avez bien lu. On allait voir ce qu’on allait voir.
Première étape : écrire un script. La tâche est confiée à Terence Feely, ancien scénariste de la série, et à Brian Clemens, son producteur et scénariste emblématique. Brian Clemens, évidemment, est un choix de premier ordre. Terence Feely, moins connu, a signé trois épisodes durant la période vidéo : Nightmare et Dragonsfield. Cinq ans plus tard, il collaborera de nouveau avec Clemens sur le scénario de Les Anges de la mort (The New Avengers).
Deuxième étape : choisir les comédiens. Qui pour incarner John Steed ? Patrick Macnee, bien entendu ! Sauf que ce dernier, pour les raisons évoquées en préambule, refuse catégoriquement de reprendre son rôle sur les planches.
Début mai, Mather annonce que Simon Oates — qui avait incarné un scientifique élégant dans la série Doomwatch de la BBC et était apparu dans plusieurs épisodes de The Avengers — a été engagé pour incarner Steed. Il avait notamment participé à Meurtres à épisodes (dans un rôle muet mais central) et à Le document disparu. Il réapparaîtra plus tard dans Otage, dans la nouvelle série.
Quant à Hannah Wild, nouvelle partenaire de Steed, le choix se porte sur Sue Lloyd, déjà vue dans l’épisode Dans sept jours le déluge… Elle déclare au London Evening News du 2 juillet 1971, dans un article signé James Green :
« Quand je ferai mes débuts sur scène à Londres en tant que Hannah Wild, ce sera ma première expérience théâtrale. Je vois Hannah comme une fille intelligente, dure mais chaleureuse. Attachée à Steed, sans autre homme dans sa vie. Côté action, elle maîtrise le tir, les prises de judo et les coups de karaté. Comme Kate O’Mara incarne la méchante en cuir noir, on m’a vêtue d’une combinaison de cuir rouge, d’un costume doré et d’un ensemble rose poussière. Même si mon expérience de scène est réduite, j’ai un léger avantage : avoir déjà joué devant un public en studio pour la série His and Hers. Certains me croient dure comme Hannah, mais c’est une façade. En réalité, je suis une grande sentimentale. Et ce que j’ai appris, c’est que les vraies “dangereuses” sont souvent les filles aux yeux grands ouverts et innocents ! »
Sue Lloyd, London Evening News du 2 juillet 1971
L’esprit diabolique qui menace nos deux héros se nomme Madame Gerda, incarnée par Kate O’Mara déjà vue dans Le visage.
Représentations
- Au théâtre de Birmingham : du jeudi 15 juillet au samedi 24 juillet 1971. Première semaine : représentations du jeudi au vendredi à 19h30, et le samedi à 17h00 et 20h00. Seconde semaine : représentations le lundi, mardi, jeudi et vendredi à 19h30 ; le mercredi et le samedi à 17h00 et 20h00. Soit 12 représentations. Or, d’après Dave Rogers, il semble que la première ait eu lieu le 20 juillet 1971, ce qui laisse à penser soit qu’il y a eu un retard par rapport aux publicités qui avaient été imprimées, soit que Dave Rogers s’est trompé… À ce stade, on n’en sait rien.
- Au Prince Walles Theatre : à partir du lundi 2 août 1971 : du lundi au jeudi à 20h, et le vendredi et le samedi à 18h00 et 20h50.
Témoignages
Dave Rogers assiste à la première, au Birmingham Theatre, le 20 juillet 1971. Il déclare :
« La promesse de John Mather que la production aurait un “look très spécial” n’était pas simplement un vain propos. (…) Le spectacle avait tout l’attrait décalé de la série télévisée à succès : des décors imaginatifs (seize en tout), des costumes colorés et tendance, plus de trente jeunes femmes séduisantes. (…) Les décors ambitieux, conçus par Michael Young, comprenaient une réplique grandeur nature de la Bentley vintage de Steed, l’appartement de luxe de Steed, la salle d’opérations top secrète du MI5, la salle du cerveau de l’ordinateur principal, l’Académie de jeunes filles de Madame Gerda (avec des nymphettes à peine vêtues), et même un atterrissage d’hélicoptère ! (…) »
Dave Rogers, The Ultimate Avengers, 1995
Malheureusement, la première ne se passe pas comme prévu — et les suivantes non plus, semble-t-il. Dave Rogers poursuit :
Cependant, c’était la première (où l’on s’attend à ce que des choses aillent de travers), et personne ne semblait s’en soucier, pas même Simon Oates lui-même, qui conclut le spectacle par cette phrase : “Pourquoi ne pas revenir demain soir et voir comment le spectacle se termine vraiment ?”
Dave Rogers, The Ultimate Avengers, 1995
Le spectacle poursuit son essai de deux semaines à Birmingham, puis est transféré sur la scène du Prince of Wales Theatre à Londres pour une courte série de représentations. Très courte, malheureusement, car la pièce ne dure que quelques semaines. De nombreux problèmes techniques viennent entacher la production.
Sue Lloyd s’en souvient lors de l’émission On Stage (BBC2, 15 août 1987) :
Kate O’Mara était censée être invisible à certains moments, et les effets spéciaux lui permettaient de disparaître dans des accessoires spéciaux qui s’ouvraient pour l’engloutir.
Sue Lloyd, On Stage (BBC2, 15 août 1987)
Il y avait ce canapé astucieux, conçu pour s’ouvrir et la faire disparaître. Malheureusement, une nuit, elle appuya sur le bouton — et rien ne se passa. Dans la scène suivante, Jeremy Lloyd entre et doit simplement s’asseoir pour prendre le thé. À peine assis — bam ! — le canapé s’ouvrit comme une mâchoire géante et le pauvre Jeremy disparut dedans.
Malgré l’ambition affichée, la pièce semble avoir été un fiasco technique, qui a sans doute mis très mal à l’aise le public comme les acteurs.
Simon Oates est John Steed
Alan et Alys Hayes, du site The Avengers Declassified, ont réalisé un entretien avec Simon Oates le samedi 1er novembre 2008, dans l’East Sussex. Il est décédé sept mois plus tard des suites d’une maladie. De toute évidence, M. et Mme Hayes gardent un souvenir très ému de cette journée, dont ils ont tiré une interview aussi longue qu’intéressante, désormais consultable en archive, puisque — malheureusement — cet excellent site n’est plus en ligne.
Après la première année de Doomwatch, vous avez décroché le rôle de John Steed dans l’adaptation théâtrale de The Avengers. Était-ce un rôle qui vous tenait particulièrement à cœur ?
J’étais absolument ravi. Mais dès qu’on me l’a proposé, j’ai tenu à téléphoner à Patrick Macnee — Pat est un grand ami. Je me suis demandé s’il n’y avait pas une manœuvre douteuse derrière cette proposition. Est-ce qu’ils essayaient de faire pression sur Pat en me mettant dans la balance ? Est-ce qu’ils lui disaient : « Si tu refuses, on peut très bien te remplacer – on n’a pas besoin de toi » ? J’étais inquiet, car après tout, The Avengers, c’était sa série. Je l’ai donc appelé pour lui expliquer la situation. Il m’a répondu : « Je ne peux tout simplement pas le faire. C’est trop physique pour moi. Alors vas-y, avec ma bénédiction – et merci de m’avoir appelé. » J’ai donc accepté… et il avait raison : c’était un spectacle plutôt physique ! Mais Patrick Macnee… quel acteur difficile à suivre…
La production a-t-elle été à la hauteur de vos attentes ?
Non, pas vraiment. Elle aurait pu être fantastique, mais elle a été sabotée de l’intérieur. Si j’avais pu la mettre en scène en plus de jouer dedans, elle aurait tenu l’affiche pendant deux ans, je vous le garantis. Il y a eu tellement de problèmes… Je me souviens d’avoir dû pousser la Bentley en coulisses un soir, parce qu’elle ne démarrait pas. Et ce canapé, conçu pour faire disparaître les gens — j’avais dit que ça sentait le piège, et un soir, Jeremy Lloyd est resté coincé à mi-chemin ! Je me suis assis devant lui, je lui ai dit de ne pas bouger. La plupart du public ne s’est douté de rien… Moi assis là, et lui caché derrière moi, tentant de ramper à l’arrière du canapé ! Et puis il y avait ce parachute qui se bloquait à chaque fois… Il aurait été si simple de régler ces problèmes. Je m’y connais en scène, en présentation, en éclairage, et j’ai su au bout de quatre jours de répétitions avec le metteur en scène — que je ne nommerai pas1 — qu’on allait dans le mur. Et on y est allés. On en faisait trop, on portait tout sur nos épaules. On ne pensait pas seulement à son jeu, à ce qu’on voulait transmettre, mais on gardait un œil partout, redoutant la prochaine catastrophe technique.
Les dix jours de rodage à Birmingham avant la première à Londres étaient-ils insuffisants ?
Totalement. On ne pouvait pas mettre en place un tel spectacle en si peu de temps. Si j’avais eu la mise en scène, j’aurais bousculé un peu le décor, et on aurait eu quelque chose de solide. Mais là, c’était comme une voiture pas finie. Est-ce que les vitesses fonctionnent ? Et les freins ? On ne savait pas. On n’avait rien testé. C’était le chaos. J’étais déçu, bien sûr, mais je m’y attendais un peu. Le rythme de la pièce était constamment cassé par des dysfonctionnements. C’est mon ressenti. Je pense que mon jeu tenait la route — enfin, je le crois ! — mais on se faisait sans cesse interrompre par des incidents. On sentait que ça allait mal tourner…
Pensez-vous que la pièce aurait pu s’améliorer et évoluer avec le temps ?
Pas dans l’état où elle était. Mais si la production avait été resserrée, si tout avait fonctionné comme il faut, elle aurait pu durer autant qu’on l’aurait voulu. C’était un spectacle amusant, avec un script plutôt bon. Mais c’est comme un humoriste sur scène avec des spectateurs qui tombent du balcon toutes les dix minutes, ou un micro qui lâche, des lumières qui clignotent… Dans ces conditions, il ne fera pas rire grand monde. On attend la prochaine tuile — moi, en tout cas, j’étais constamment sur mes gardes. Et là-dessus, il fallait jouer Steed ! Pas évident…
Le spectacle a reçu des critiques assez dures. Comment les avez-vous accueillies ?
Honnêtement, je ne lis jamais les critiques avant d’avoir été à l’affiche pendant trois ou quatre semaines. Et pour The Avengers au théâtre, main sur le cœur, je n’ai jamais lu une seule critique. Je sais que vous en avez mentionné quelques-unes mauvaises, mais ça m’est égal. Elles ne m’ont pas atteint, parce que je ne les ai pas vues. Et je n’y crois pas plus quand elles sont positives que quand elles sont négatives ! Pour moi, chaque chronique devrait porter en haut « ceci n’est que l’avis d’une seule personne ». Il y a sans doute eu des gens pour dire : « Pour qui se prend-il à vouloir remplacer Pat ? » — et je comprends ça. Pat est un homme formidable qui a offert des performances superbes en Steed. Donc, d’une certaine manière, j’étais fichu d’avance, non ? Quand quelqu’un incarne un rôle aussi fort, et qu’un autre vient derrière… il ne sera jamais vu comme aussi bon que l’original.
L’avis des scénaristes
Terence Feely (co-scénariste) : pourquoi cela s’est effondré…
Ça n’a pas fonctionné parce que le producteur a dit qu’il pouvait s’occuper des effets, et Brian et moi avons soupçonné qu’il ne le pouvait pas. On lui a fait confiance, mais ça n’a pas marché.
Terence Feely, TV Zone, octobre 1993
Brian Clemens (co-scénariste) : comment les choses auraient pu se passer différemment…
Si cela avait été monté comme Le Fantôme de l’Opéra, ça aurait pu durer éternellement. C’était trop ambitieux pour l’époque. Les critiques aimaient l’idée, mais pas son exécution. Il aurait fallu jouer la pièce dans une autre ville pendant six mois pour la peaufiner, pour corriger les problèmes liés aux accessoires.
Brian Clemens interviewé par Dave Rogers pour The Ultimate Avengers, 1995
The Avengers sur scène
(Repris du programme officiel du théâtre)
Y a-t-il quelqu’un, ayant regardé la télévision au cours des dix dernières années, qui n’a pas entendu ce thème musical si familier sans ressentir un frisson d’anticipation ?
Car John Steed est le Robin des Bois moderne, et nous savons d’avance qu’il ne lui arrivera rien — même s’il n’a jamais épousé Marianne.
Chaque semaine, nous retrouvions Steed et ses fidèles partenaires — Cathy Gale, Emma Peel, Tara King — ces femmes cyniques, vêtues de cuir, capables de vous embrasser ou de vous assommer selon leur humeur.
Aujourd’hui, Steed et sa nouvelle partenaire, Hannah Wild, sont réunis sur scène dans une comédie rapide et délirante, avec toute la panache et la brillance propres aux Avengers, mais aussi avec l’exotique et sinistre Madame Gerda, cheffe des Forces du Mal, et son incroyable bande de jeunes filles diaboliques.
Avec The Avengers… tout peut arriver !
déroulement
ACTE I
Scène I – Appartement en duplex de John Steed – Matin
Scène II – Un hélicoptère quelque part en Écosse – Cette nuit-là
Scène III – Bentley de Steed – Cette nuit-là
Scène IV – Salle des opérations top secrète quelque part en Écosse – Cette nuit-là
Scène V – Centre de communication de Whitehall – Le lendemain
Scène VI – Appartement de Steed – Plus tard
ENTRACTE
ACTE II
Scène I – Un bureau au Ministère de la Sécurité Intérieure – Le lendemain
Scène II – Appartement de Steed – Plus tard dans la journée
Scène III – Conversation à deux
Scène IV – Académie de Madame Gerda pour jeunes filles – Fin d’après-midi
Scène V – Ministère de la Sécurité Intérieure – Début de soirée
Scène VI – Appartement de Steed – Quelques minutes plus tard
Scène VII – Ministère de la Sécurité Intérieure – Cette nuit-là
Scène VIII – Salle des cerveaux de l’Ordinateur central
Distribution
James (Steed’s new butler) – Julie Neubert
John Steed – Simon Oates
Hannah Wild – Sue Lloyd
Melanie – Wendy Hall
Carruthers (an MI5 agent) – Jeremy Lloyd
Parsons – Kenton Moore
Chummers – Paul McDowell
Maitland – John F. Landry
Walters (The Minister for Internal Security) – Anthony Sharp
Madam Gerda – Kate O’Mara
Victoria (one of Gerda’s gang) – Lisa Collings
Prunella – Gail Grainger
Wanda – Gypsie Kemp
Air Marshall Striker – Derek Tansley
General Bull – John F. Landry
Admiral Drake – Tim Buckland
A Psychiatrist – Derek Tansley
Military Police Sergeant – Tim Buckland
Military Policeman – Paul McDowell
Mother (chief of MI5) – John F. Landry
Miss Lacey (his Secretary) – Mary Llewellin
Nicola (one of Gerda’s gang) – Joanna Ross
Jasmine – Gail Grainger
Emma – Gypsie Kemp
Miranda – Kubi Chaza
A Nurse – Helen Gill
Scarman (Gerda’s bodyguard) – Heather Kyd
A fantasy maid – Gail Grainger
A fantasy sadist – Gypsie Kemp
A fantasy masochist – Joanna Ross
A fantasy cricketer – Kubi Chaza
And various dignitaries and wives, guards, secretaries, passers-by, etc.
Programmes
Les programmes sont disponibles sur le site en archives de Alan et Alys Hayes.
Références
- Le dossier extrêmement complet réalisé par Alan et Alys Hayes, du site The Avengers Declassified (archive, en anglais), qui, malheureusement, n’est plus en ligne, est une référence. On y trouve une présentation générale du projet, le scénario, les crédits complets, les biographies, un entretien de très grande qualité avec Simon Oates, une galerie de photos et divers documents d’époque (publicités, programmes…). C’est un travail remarquable qui, soyons honnêtes, a beaucoup inspiré cette page.
- The Ultimate Avengers — sorti en septembre 1995 de Dave Rogers constituent un témoignage très intéressant, puisqu’il a assisté à la première représentation au théâtre de Birmingham le 15 juillet 1971. Son travail est évidemment extrêmement important pour tous ceux qui apprécient cette série. Autant le dire, c’est une référence sur laquelle on ne peut faire l’impasse.
- Le metteur en scène est Leslie Phillips (1924-1922). ↩︎