Voyage Sans retour

Critique impressionniste et néanmoins détaillée, à lire après avoir visionné l’épisode, comme de coutume…

Introduction

Cet épisode est l’ un de ceux que je préfère, grâce à l’ambiance particulièrement comminatoire, qui est sécrétée pendant tout l’épisode. La saison 1965/66 a produit les fleurons de la série et cet épisode–ci ne dément pas sa flatteuse réputation, bien au contraire.

La qualité principale de l’épisode réside dans l’atmosphère étrange qui nous happe pendant près de 50 minutes. Le village déserté est un des clichés du cinéma et des séries. Nous ne donnons pas, pour autant, une connotation négative à ce mot.

Le thème principal – le remplaçant progressif des habitants d’un village par des intrus – n’a donc rien d’original mais il est traité avec maestria. Il appartient plutôt à la science–fiction ou au fantastique si l’on devait définir le genre de ce thème, mais il s’inscrit, en qui concerne l’épisode, dans un cadre qui conserve un ton réaliste. C’est une réflexion que l’on pourrait appliquer à tous les épisodes : jamais, on ne sombre tout à fait dans l’irréel, quels que soient les éléments saugrenus qui viennent troubler la vie de nos Avengers. On doit pouvoir s’identifier un minimum aux personnages, afin de trembler de conserve, donc on demeure dans un registre plus ou moins vraisemblable.

On ne le dirait pas, tant la complicité de Mrs Peel et de Steed est évidente, mais ce fut le premier épisode qui met en scène nos deux agents.. Ceci donne une saveur particulière à Voyage sans retour.

Arrivée au village

Le titre de cet épisode, aussi bien en V.O. qu’en V.F., est bien évidemment volontairement inquiétant pour le spectateur et doit le plonger d’emblée dans des émotions négatives : on lui suggère de se tenir sur le qui–vive. La mort est prévue à la fin d’un voyage. De multiples questions nous agitent. Première étape réussie. Intriguer le spectateur.

Le décor initial : une plage, une musique aiguisée, une main qui s’approche lentement d’un couteau de poche, un pêcheur. Un plan large et continu suggère l’immensité de la mer. Paysage presque idyllique, lorsqu’un point noir surgit au beau milieu des flots. La musique se transforme et devient tout à coup très gaie : elle anticipe le sourire qui, très probablement, naît sur le visage du spectateur lorsque la nature de ce point noir se précise. Une sorte de sac à poubelle géant surgit de la mer ! Un sac qui se met à marcher ! Le pêcheur regarde la scène sans étonnement particulier. Tout à coup, comme une chrysalide, le sac se déchire et laisse apparaître un homme, habillé d’un costume et d’un chapeau de tweed typiquement anglais. Il est même muni d’un parapluie ! Il délaisse son cocon sur le sable, avec insouciance. Geste on ne peut plus écologique… Il demande au pêcheur la direction pour « Little Bazeley ». Entre ce plan–ci et le précédent, on peut noter une erreur de continuité : la casquette du pêcheur est d’abord cassée puis entière ! Les deux hommes ont une conversation anodine !

Générique.

Une des scènes les plus drôles de la série prend place ici. Steed appuie du bout de son parapluie sur une sonnette qui répond au nom d’Emma Peel et qui arbore un gros bouton. Aussitôt un œil s’ouvre. Le geste produit, par conséquent, son petit effet. La diablerie salace est double et évidente. D’autant plus que l’œil est très fourni en « cils » et que si on le regarde attentivement on peut s’apercevoir qu’il ressemble à autre chose qu’un œil… Brian Clemens disait ceci : « La série pouvait parler de sexe, mais cela n’était jamais flagrant. C’était du « sexe psychologique » – une salacité qui faisait appel aux arrière–pensées plutôt qu’à l’œil. » – (source : trading cards Cornerstone).

La porte est ouverte et Steed entre dans l’appartement d’Emma, qui s’entraîne à l’escrime. C’est la première fois que l’on pénètre dans l’intérieur de Mrs Peel, si je puis m’exprimer ainsi. La cheminée de Mrs Peel est bien singulière puisqu’elle ne possède pas de conduit d’évacuation… La manière si sensuelle et classe dont Steed et Emma enlèvent leurs chapeau et masque respectifs a l’allure d’un geste de ballet. Ils se répondent l’un l’autre, en parfaite harmonie. Steed donne des conseils à Mrs Peel qui ne les accepte que du bout du cœur. Sa tenue est pour le moins osée : cuir et tissu. Steed demande de la crème… Mrs Peel rétorque qu’elle est dans la cuisine. Il renchérit qu’il peut s’en passer… Inutile de préciser que la salacité précédemment évoquée est filée ici. Plaisante métaphore tout de même ! Un duel s’ensuit, comme un corps à corps qui ne dit pas son nom. Emma met à sa merci Steed, qui ne peut s’empêcher de lui flatter les fesses du bout de son fleuret… Steed et les fesses : vaste sujet ! Nous en avons déjà parlé dans d’autres chroniques : il semble apprécier les éminences charnues.

Il lui propose une promenade sur la côte. Ils poursuivent leur joute et, au passage, Steed déplace un objet fragile. Dextérité du gentleman. Il réussit à gagner le combat en enroulant Mrs Peel dans un rideau (que l’on peut prendre comme une image des draps d’un lit) et le temps qu’elle parvienne à se libérer, il a trouvé la crème ! La roublardise de Steed apparaît ici. Emma s’insurge. Petit dialogue : « It was very, very dirty. » [C’était un tour de cochon.], « It’s quite right but I didn’t promise to fight fair. » [Vous avez parfaitement raison, mais je n’ai pas promis de jouer à la loyale.].

Steed qui feignait de passer par hasard avait, en réalité, prévu un petit voyage. En train. Emma porte un joli béret blanc et noir, qui dessine une cible sur son sommet. Elle lit une revue intitulée Primary Education. Sa couverture sera celle d’une maîtresse d’école. Steed ne se sépare jamais de son service à thé et ils sacrifient donc à la tradition anglaise, dans le train. En toute simplicité, bien entendu ! Petits fours en sus ! Il lui demande si elle préfère du lait ou du citron. Son choix porte sur l’agrume, ce qui a le don d’énerver Steed, qui n’en a pas apporté (il a bien raison : les véritables amateurs de thé ne mettent jamais, au grand jamais de citron dans leur thé ; le lait étant le seul compromis à peu près acceptable. Et encore !). On se demande comment il a pu transporter le lait dans un petit pot à lait, sans couvercle ! C’est la toute magie des Avengers. Steed sort plein d’ustensiles étranges de son sac en tapisserie : une armada de choses en argent pour le « tea time ». Et surtout une théière – bouilloire aux allures de lampe d’Aladin ! Ceci nous rappelle que Steed est un homme prévoyant et organisé. Ne fera–t–il pas, dans une autre vie, cuire un steak à Tara avec sa Bentley (Miroirs) ? Pour une fois, Steed voyage avec un semblant de bagages !

Le train est immatriculé 6108. Détail qui en vaut un autre…

Quatre de leurs agents ont disparu et ils partent à leur recherche. Voici le motif ou le prétexte de cette histoire tirée par les cheveux mais charmante.

Un homme entre dans leur wagon. Un homme rond, Patrick Newell, futur Mère–Grand. Steed lit un livre qui est en accord avec leur mission : Great disappearing – Acts. Toujours cette ironie de surface, qui fait le charme de la série et qui tient à une multitude de petits détails, à un saupoudrage parfaitement maîtrisé. La musique est très drôle lors de cette scène et à l’image du personnage : le tuba s’accorde avec les formes volumineuses du personnage. La bande sonore est très réussie dans cet épisode et sert chaque scène : discrètement mais efficacement.

On notera, au passage, que le train circule sur des voies remplies de mauvaises herbes et autres ronces, ce qui est impossible, bien entendu.

Patrick Newell incarne une sorte de fâcheux ou de bavard qui vient rendre visite à son frère, Tom Smallwood, le forgeron de Little Bazeley. Il va jusqu’à montrer sa photo à Emma, qui demeure fort courtoise. Tandis que Steed essaie d’ignorer sa présence.

Steed porte une vieille valise tandis que celle d’Emma (avec ses initiales) est transportée par Smallwood. Elle se contente d’en tenir une autre (assortie à la première mais sans initiales) ainsi que l’accessoire de sa couverture (institutrice), un attaché–case.

Un homme les surveille, caché derrière le panneau de « Bienvenue » du village. Cette indication est railleuse, car personne n’est le bienvenue en ce lieu austère ! L’homme a l’œil fort mauvais. C’est le pêcheur de la scène introductive.

Ils se dirigent vers un pub qui porte le nom « The Inebriated Gremlin« , traduit en français par le « Vieux gnome » alors que cela signifie littéralement « Le diablotin ivre ». Quoi de plus approprié pour un pub, n’est–ce pas ? Notons que les Gremlins sont des créatures imaginaires qui ont été inventées dans le monde de l’aéronautique militaire. Ils sont, à l’origine, une légende, née en Grande–Bretagne, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui servait à expliquer les accidents dont étaient victimes les pilotes de chasse : les Gremlins détérioraient les ailes, les moteurs, etc. La dénomination ne nous paraît pas un hasard ! Les premiers Gremlins apparus dans des œuvres de fiction sont ceux de Roald Dahl, le célèbre auteur de Charlie et la chocolaterie et de nouvelles savoureuses, ceux du studio Disney et du studio Warner (1943). Le panneau est humoristique : une créature qui porte une bouteille plus grande que lui, un verre et un tire–bouchon. Une enseigne indique : « Murdstone – Grinby. Wines and Spirits. » Référence très appuyée à David Copperfield, une fois de plus, dans la série (Cf. notre chronique de Faites de beaux rêves) ! Il suffit de consulter le chapitre 11 du roman pour apprécier la référence. Nous n’avons guère le temps de développer toutes les implications que cela recouvre, mais soyez assurés qu’il y a matière à disserter sur le rôle de Dickens dans les Avengers en général et dans cet épisode en particulier. C’est inouï à quel point aucun critique n’a analysé en profondeur les références des Avengers ! Beaucoup d’épisodes sont entrelacés d’une multitude de liens dont il suffit de trouver le fil principal pour les dénouer… Par exemple, Warren est le nom de la fabrique de cirages (« Warren’s Shoeblacking factory ») où a travaillé le jeune Dickens, etc. Epatant !

Des pancartes grincent et nous pénétrons dans le pub. Un couple prend un verre. Des hommes jouent aux fléchettes (les scores : 301, 269, 240, 201) Cf. Un traître à Zébra (avec Cathy Gale).

Le thème des voyageurs qui arrivent de nuit, dans une atmosphère glacée, faite de crépitements alarmants, est assez ordinaire. Mais c’est toujours très efficient. Il y a comme une once de L’Auberge de la Jamaïque d’Hitchcock – à qui nous ne cesserons de penser pendant cet épisode.

Le tenancier du pub, Piggy Warren (Son nom dit tout ce qu’il est : un cochon – il est leste, d’où son rire – et son patronyme signifie « terrier » ou… « labyrinthe » ; d’emblée, on sait donc qu’il est un vilain, du moins implicitement ; il appartient à l’armée souterraine), est très pittoresque avec des belles bacchantes. Son rire gras est inoubliable. Steed fait mine de ne pas connaître Mrs Peel. Il commande un cognac pour eux trois.

Des avions militaires miniatures sont accrochés au lustre. Ils rappellent que le lieu fut, pendant la guerre, une ancienne base militaire. Le siège du 33e escadron. Le monde militaire est très souvent évoqué dans la série. Ceci convient à la complexion de notre agent au melon. Steed se fait néanmoins passer pour un agent immobilier en quête de nouveaux sites à prospecter.

La directrice de l’école du village se nomme Jill Manson ; elle se trouve au pub. Elle entend Emma dire qu’elle est la nouvelle institutrice. Mrs Manson n’a point demandé de renfort. Mark Brandon est le nom de l’homme qui était sorti du « sac » au début de l’épisode. Il se dit l’inspecteur régional (scolaire). Toute cette scène est filmée légèrement inclinée. Pour donner une impression de vertige ou de malaise ? Comme si nous étions à bord d’un avion ? On peut interpréter ceci dans ce sens.

Son langage est menaçant : « Puisque vous êtes ici, vous devez rester ». Patrick Newell alias Smallwood n’entend pas la recommandation et sort accompagné de « sa musique », le tuba. Un drôle de sbire est à la porte d’entrée qui observe cette désertion. D’autres hommes le suivent armés de fusils. Le tenancier prétend qu’ils vont chasser le blaireau ! On se doute que Smallwood ne fera pas long feu.

Etrangement, il faisait nuit à la sortie du train et il fait jour lorsque Smallwood fait sa promenade. Il y a de nombreuses erreurs de raccord, dues au fait que l’épisode a été filmé deux fois (avec Diana Rigg et avec l’autre Mrs Peel, Elizabeth Sheppard) et que certaines scènes de la première tentative ont été incorporées dans l’épisode que nous connaissons aujourd’hui.

Le pêcheur le suit et a une dégaine de plus en plus patibulaire. Steed et Emma s’installent pour la nuit. La chambre d’hôtel de Steed est plutôt minable. Il y a même du papier tue–mouches ! Les cadres sont de travers. Et tout est toujours filmé avec la même légère inclinaison. Une sacrée couche de poussière recouvre les rares meubles. L’impression de désolation est très forte. Steed ne semble pas à son aise dans cette débauche de décrépitude. Les sanitaires ne sont pas dans un état des plus reluisants. Lorsqu’il veut s’essuyer dans une serviette. Il s’aperçoit qu’elle est trouée. Effet comique assuré. Emma lui dit : « En plein dans le mille ». (« Hole in one. » – « Hole in both »). Est–ce une référence à son béret en forme de cible ? Emma possède la sœur jumelle de la serviette. Cette petite scène est exquise.

Smallwood (Newell) est la bonhomie incarnée. Il cherche son frère. Il est, paradoxalement, le genre de personnage que l’on peut croire coupable si l’on ne se fie pas aux apparences. Mais il est le seul personnage de l’épisode à n’être pas dans le coup et, partant, une victime parfaite : ayant gagné la sympathie du spectateur, sa mort n’en sera que plus cruellement éprouvée par ce dernier…

Steed se débat avec le papier tue–mouches et invite Emma à dîner. Ils entendent des bruits de bottes inquiétants.

Ils descendent pourtant dîner, mine de rien. Le tenancier oblige Steed à partager une table avec Emma et lui dit qu’il ne faudrait pas laisser refroidir. De quoi parle–t–il au juste ?

Steed prétexte qu’il a une lettre à poster Mais l’inspecteur régional lui arrache des mains, disant qu’il va passer devant une boîte. Petit arrêt de la caméra sur un masque à gaz en guise de décoration, qui donne l’impression d’être une tête de mort, qui apparaîtra… au plan suivant ! Située en bonne place sur une pierre tombale dans un cimetière où arrive Smallwood. La musique qui intervient à ce moment–là est celle d’un chœur d’enfants. Nous reviendrons sur la nature de cet hymne. Sur la pierre tombale, en sus de la tête de mort, il y a un cercueil et un sablier renversé avec une légère inclinaison. La réalisation suggère implicitement le destin de Smallwood. Il entre dans l’église mais il n’y a personne ! Malgré le chant ! Seraient–ce des fantômes qui posséderaient des voix de séraphins ?

Plan suivant. On suit l’inspecteur qui entre dans l’école. Des traces de pas dans la salle de classe, qui ne font pas très réelles. On les dirait peintes ! Des dessins d’enfants plutôt sanglants : un pendu, un homme qui a la gorge tranchée, un combat d’épée, un lion qui a égorgé un zèbre… Atmosphère pesante. Toujours ce rapport ambigu avec l’enfance, déjà évoquée dans de précédentes chroniques d’épisodes.

Ensuite, il y a une référence au Chien des Baskerville de Conan Doyle ou à ses adaptations filmées. On entend un hurlement dans la lande. Smallwood, les vêtements en lambeaux, est poursuivi par le pêcheur et deux chiens molosses. Eternelle chasse à l’homme des Avengers. Celle–ci est particulièrement barbare et dépourvu de l’humour noir qui l’accompagne parfois. A nouveau ce problème de continuité d’une scène à l’autre. L’inspecteur est arrivé à l’école de jour, alors qu’il faisait nuit. Encore pire : on voit très nettement, lors de la poursuite que ce n’est plus Newell mais un autre acteur !

Pendant ce temps, Emma et Steed déjeunent près d’une cheminée qui a un gros rhum et enfume la pièce. Que de problèmes de cheminées dans cet épisode !

La scène où Newell tombe en arrière avant que les chiens ne lui sautent à la gorge est génialement atroce. Son visage effrayé est très crédible.

Steed décide d’aller voir ce qui se passe. Car il a entendu les chiens (deux chiens qui font autant de raffut qu’une meute !) et laisse Emma dans sa chambre. Il dit marcher comme « avec des pattes de velours ». Celle–ci est dubitative. A juste titre…

Le tenancier le surprend avec un fusil. Il porte un bonnet de nuit très… folklorique. Son entrevue avec le tenancier est pleine de drôlerie. Il lui refourgue une bouteille d’alcool… qu’il mettra sur sa note.

Drôles de paroissiens…

Mrs Peel se rend à l’école. Elle arbore pour l’occasion de charmantes lunettes rondes. Elle repère une rangée de bottes boueuses. Elle surprend une conversation agressive entre la directrice et l’inspecteur.

Steed joue sur la plage. Il lance des pierres sur des boîtes de conserve et des canettes. Le cadavre de Smallwood repose dans cette tombe improvisée ; Emma le rejoint. Il l’observe à l’aide de son monoculaire. Echo, bien évidemment, à l’œil de l’introduction. Il semble apprécier la vue qu’elle lui offre. Ils remarquent des traces de pas sur le sable. Des douzaines de paires de pieds, de grands pieds. Elle demande à qui ils appartiennent – ce qui donne lui à un échange savoureux, qui tombe à plat, une fois de plus, dans la VF.

Emma aperçoit dans le monoculaire un pied ! Ils s’approchent et découvrent le deuxième pied ainsi que son propriétaire. Le cadavre à moitié enfoui dans le sable est très impressionnant. Steed fouille dans le portefeuille de la victime et revoit la photographie du frère de Smallwood, Tom, le maréchal–ferrant. Ils lui rendent visite et le spectateur s’aperçoit que ce dernier n’est pas le frère de Smallwood, mais le pêcheur ! Horreur ! Le spectateur est en avance sur le duo de choc. La méthode est excellente puisqu’elle suscite notre attente angoissée. On aimerait prévenir nos deux lascars. Le pêcheur tient un fer à cheval bouillant et Emma Peel est filmée à travers ce fer. Ce geste a une valeur de mise en garde pour le spectateur.

Steed n’est pas dupe lorsque l’homme prétend que son « frère » est parti ce matin. Il prêche le faux pour savoir le vrai – ce qui est une des méthodes habituelles de Steed dans moult épisodes – en parlant du train du matin (qu’il sait ne pas exister) mais l’autre ne se laisse pas avoir.

C’est à ce moment que nous entrons en collision avec le poème qui sert de trame à l’épisode (Cf. ce que nous disions de cet usage, à propos des comptines ou nursery rhymes dans Faites de beaux rêves ou Monsieur Nounours). La fonction du poème de Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), The Village Blacksmith (Le village du forgeron) dont Steed récite le premier vers «Under a spreading chestnut tree» [Sous un châtaignier qui s’étale] est de donner une architecture et une tonalité à l’épisode. En effet, divers éléments du poème sont repris dans l’histoire, bien que déformés.

Steed s’interroge sur la désertion du village. Où sont passés les gens ?

Emma se rend à l’église. Le vicaire lui déclare : « I’ve got bats in my belfry.«  Ce qui signifie : « J’ai une araignée au plafond.«  ou littéralement : «j’ai des chauve–souris dans mon clocher» ! Ces répliques à double sens sont véritablement ce qui distingue CM&BC des autres séries.

Les hymnes du jour sont les suivants (nous le lisons facilement) : 4, 105, 26.

Jonathan Aymesbury est le nom du vicaire.

Il prétend que l’église est peuplée d’insectes, de souris, etc. Il tente d’expliquer des bruits étranges. Il est nouveau dans la paroisse, dit–il. Grâce à l’allégation mensongère de la préparation d’un exposé en classe, Emma Peel peut demander à consulter les registres de la paroisse.

Il lui tend un livret, mais lorsqu’il a le dos tourné, elle en prend un autre. Méfiante est notre Emma… Le registre qui correspond aux vingt dernières années a été mutilé : des pages manquent ; elles ont été déchirées. Que cherche–t–on à travestir ?

Pendant ce temps, Steed, entend des bottes, une armée en marche. Il fait un salut militaire au son d’avion. Tout ceci se passe dans son imagination. Il revoit avec nostalgie son passé militaire lorsqu’il se rend sur un terrain à l’abandon. Peu sûr que Macnee, quant à lui, ait autant de plaisir à se remémorer cette période.

Une très jolie scène prend place alors, lorsque Steed dans la cour de l’école déserte, fait marcher un tourniquet et s’assoit sur ce manège improvisé. La musique est celle d’une fête foraine, très guillerette. La bande originale de l’épisode est adéquate de bout en bout. Steed poursuit ses investigations et se retrouve devant une baraque sur laquelle est accrochée une pancarte bancale : « 33e escadron ». Il entre et la porte donne sur une cour. Il ramasse la photo d’une pin–up, déchirée aux endroits stratégiques. Une bulle dit : « Roll on the end of the war. ». Nous ressentons un souci de dérision.

A 28’57’’, se tient un graffiti malheureusement impossible à déchiffrer. Si de bonnes âmes pouvaient le faire…

Il reconstitue une inscription sur une pierre effritée avec le nom de Piggy Warren et la date de sa mort (« killed in action in 1942 » [Mort au combat en 1942]) !!! Le mystère commence à se désépaissir…

Mrs Peel est à l’école, vêtue de sa tenue de combat. La fin approche. Un dessin à la craie sur le tableau noir, en arrière–plan : une étudiante, avec sa toque de remise de diplôme… et une canne ! Il y a souvent de tels dessins dans les épisodes des Avengers. Ce sont, à mon sens, des private jokes.

Même genre de petites plaisanteries : dans un casier, est gravé l’inscription « Love Dave ».

Emma découvre plein de boîtes de conserves. Le véritable inspecteur régional surgit, plein de boue. Mourant, il lui révèle son identité et lui dit d’aller « below » (« en bas »). Il lui désigne une photo et s’effondre, raide mort. Il est poursuivi par le pêcheur et le faux inspecteur et des chiens.

Retour chez le vicaire. « All things wise and wonderful » [Toutes les choses sont sages et merveilleuses] est la chanson que l’on entendait au début et que fredonne (avec quelle ironie tout de même ! Quel culot !) le vicaire.

Emma rend donc visite à l’homme d’église et lui montre une photo d’école, un cliché de groupe, avec une institutrice qui n’est pas celle qu’ils connaissent. Tous les gens du village seraient donc des imposteurs, puisque Steed sait également que Peggy Warren n’est plus !

Il lui demande si, finalement, elle est également une autre personne que celle qu’elle prétend être. Ironie du sort ! Il lui dit cette réplique géniale : « I know the importance of make believe ». Phrase à double sens et tranchant, puisqu’il la menace d’un revolver. Elle croit pouvoir se tirer de se mauvais pas puisqu’elle pense qu’il y a une chorale. Or, il ne s’agit que d’un enregistrement.

Il lui dit que tout cela tombe bien puisqu’il s’agit d’un requiem. Or, ce n’est pas le cas ! Il connaît mal ses chants !

Mrs Peel s’en débarrasse aisément mais, lorsqu’elle ouvre la porte, le pêcheur et le faux inspecteur sont là !

Mrs Peel, un instant de stupeur passé, arbore son fameux petit sourire ; toujours fair–play devant l’adversité. C’est la classe des gentlemen (des ladys) qu’elle pratique, ce fameux maintien qu’enseigne le drôle de directeur d’école dans The Charmers ou The correct way to kill.

Steed de retour au pub auberge retrouve le faux Warren. Il lui demande où est Emma. Il lui répond qu’elle est partie. Or, il aperçoit sa légendaire valise avec ses initiales. Fait récurrent dans les Avengers. Tara – malgré ses facultés intellectuelles chichement généreuses – s’aperçoit bien, dans Noël en février, que Steed n’est pas parti puisque son melon est resté sur place !

Il lui demande si cela ne le dérange pas qu’il l’appelle « Piggy » en lui disant que ce nom lui va bien !!! C’est offensant et drôle ! Il lui attrape le coup avec son parapluie (geste également très steedien ; par exemple, dans Les charmeurs que nous évoquions à l’instant, ce fait se reproduit) et approche ses belles moustaches de la flamme d’une bougie. Evidemment, la tentation est palpable. Visiblement, il réussit à le faire parler puisque lors de la scène suivante, Steed se retrouve dans la forge. Le symbolisme du feu passe d’une image à l’autre. Le poème est présent dans notre esprit. La forge est le centre du récit.

Le pêcheur s’approche de Steed un fer brûlant au bout d’une pince. L’homme a des yeux de malade. Fixes, vicieux. Sadiques. Nous n’aimerions pas le rencontrer un soir, dans un lieu désert. Encore moins dans une forge.

Excellente réaction de Steed qui se défend en présentant un seau d’eau au fer à cheval rouge. Sa coordination des mouvements est parfaite. Quel homme que ce John Steed tout de même ! Un sens de l’à propos hors paire ! Il l’assomme avec son melon qu’il caresse ensuite avec volupté et le remet en forme.

Emma Peel est attachée ou plutôt harnachée comme une pouliche. Compte tenu de sa tenue un brin sado–maso, la scène a de quoi susciter un trouble chez les mâles spectateurs… Il lui demande qui l’a mise dans une telle situation et sa réponse est scandaleuse et pleine d’humour : le vicaire !

Le bout du tunnel

Emma emmène Steed et lui donne une leçon, avec tableau noir à l’appui. C’est bien naturel pour une maîtresse d’école. Elle lui explique ce qui se trame. Pour envahir l’Angleterre, une armée remplace, petit à petit, les gens dans ce village. Avant de s’attaquer au pays entier. Par propagation lente. Ils laissent repartir les étrangers et tuent les gens qui sont susceptibles de parler. Substitution de personnes. Thème de science–fiction, s’il en est, mais qui rappelle aussi un élément d’Une femme disparaît (1938) d’Hitchcock.

Emma se rappelle les paroles de l’inspecteur avant de mourir. Ils vont visiter les anciens bunkers. Il y a des rats. Les Avengers aiment ces petites bêtes, on le sait (Le piège à rats idéal, Le monstre des égouts) ! On s’aperçoit qu’une partie du tunnel est formée par un trompe l’œil pour donner de la perspective. Ils entendent des bruits de bottes. Ils ouvrent des grilles au–dessus de leurs têtes et se retrouvent dans un bâtiment. Ils découvrent une cache d’armes.

Ils assistent à un exercice pour le moins spécial : des gens qui s’entraînent à percer des mannequins avec des sabres. L’effet est saisissant. On retrouve une image et une idée quelque peu semblables dans Les Charmeurs.

Une armée au–dessous et le vicaire et sa clique au–dessus. Pris en club sandwich comme le dit joliment Mrs Peel. Faits comme des rats ! Ils essaient de boucher la seule issue afin de faire prisonnière l’armée. Hélas, la pseudo maîtresse d’école, le faux inspecteur et le vicaire vicieux les tiennent en joue. Un mouvement synchrone et parfaitement orchestré permet à Steed et Emma de mettre à terre les deux hommes. Le combat s’engage mais la porte s’ouvre et des soldats arrivent, le pas mécanique, s’avançant vers eux… quand le faux inspecteur referme la porte sur lui et eux, mais aussi sur Steed ! Réaction illogique ! On sent que la fin de l’épisode est malmenée.

Emma combat l’institutrice et le vicaire. Elle n’est pas à cela près. Sûre de gagner à chaque fois. Elle ouvre de nouveau le pont–levis et aperçoit Steed, content de lui, qui a assommé quatre hommes avec pour seule arme son melon ! Ils le referment vite, car ils entendent des bruits de bottes ! Il ne s’ouvre donc que d’un côté ? Le spectateur sera frustré de cet épilogue expéditif et peu cohérent.

Conclusion

Cet épisode est un classique, à l’instar de beaucoup des épisodes de la saison 1965/1966. Ce qui le rend si aimable, c’est d’abord une ambiance bien frappée et une musique parfaitement adaptée aux mouvements des personnages, ainsi qu’à leur personnalité. Du sur–mesure. C’est également un épisode historique parce que c’est le premier épisode filmé en format film et non plus vidéo (comme les Cathy Gale).

L’intrigue nous déporte ailleurs : les Avengers voyagent, ce qui n’est pas si fréquent. Les décors sont beaux. La plage nous change de Londres. «Les Avengers en vacances» pourrait être le titre de cet épisode. La même sensation de plaisir se retrouve avec l’épisode Miroirs : quoi de plus poétique que la mer et un phare ? Ceci ne se produira jamais ou quasiment jamais dans la saison 1967. Les scènes de rue sont du carton pâte. Ici, ce sont des décors naturels.

Les seules imperfections notables sont les erreurs de continuité, les défauts de raccord, et une fin expédiée en quatrième vitesse, alors qu’en était en droit d’attendre beaucoup mieux, eu égard à la qualité des neuf dixièmes de l’épisode. La révélation progressive du mystère était très bien menée jusqu’au final, qui gâche un peu l’impression générale.