Le baiser de Midas

Le titre original de l’épisode suggère bien des promesses et est plus explicite que la traduction française, qui le réduit à une signification, non pas fausse, mais restreinte. En effet, « touch » signifie le toucher, un des cinq sens (peut-être celui qui invite le mieux à la sensualité), mais aussi le contact, ainsi que la touche ou le soupçon d’un ingrédient, ou encore le détail qui qualifie un geste, un comportement, une chose, etc. Le toucher sera donc, très logiquement, le fil conducteur de cet épisode. On peut analyser chacune des scènes à partir de cet unique sens et du champ lexical qu’il induit, jusqu’à la fin. Une scène, par exemple, met en compétition ce sens avec celui de la vue, afin de dévaloriser le second : le geôlier de Purdey ne peut pas toucher, mais il peut regarder, et cela ne lui suffit pas… Comme on peut le comprendre !

Cet épisode a plusieurs teintes qui s’entremêlent : suspense (de multiples chausse-trapes émaillent l’épisode), humour (grâce à nos trois héros qui savent parfaitement mettre en valeur des dialogues piquants) et émotion (déchéance de l’ami de Steed, Freddy, qui a sombré dans l’alcoolisme et tente de se « refaire »). La saveur particulière de cette histoire tient au tissage quasi parfait de ces trois tons.

Ce qui est absolument remarquable dans cet épisode est le rythme (enchaînement rapide des scènes) et le principe d’économie (le mot gaspiller, « waste », est d’ailleurs employé au sujet de Purdey, promise à Midas), qui régissent chaque scène. Il y a comme un relais mis en place par le moyen d’un mot (Gambit : « We wanted him alive » [On le voulait vivant] – Purdey : « We wanted him awake » [On le voulait éveillé]) ou d’un objet repris (l’orange attrapée au vol et dégustée par Purdey en pleine course-poursuite), le roi de l’échiquier qui désigne le roi Midas, etc.

Pour illustrer ce principe d’économie, révélateur de l’ordre soigné mis en scène grâce à un scénario intelligent, il suffit d’un exemple. Purdey et Gambit discutent dans la voiture pendant qu’ils donnent la chasse à un « vilain ». Ils évoquent le film Le Trésor de la Sierra Madre, dans lequel joue Bogart. Gambit affirme (à juste titre) que John Huston a réalisé ce film, tandis que Purdey soutient que c’était son père (Walter Huston, qui obtiendra d’ailleurs l’Oscar du meilleur second rôle), qui était aux commandes, avant de se rendre à l’évidence. On pourrait penser que cette petite discussion n’a que peu de lien avec le sujet de l’épisode, sinon à cause de l’or, motif central de l’action. Mais si l’on y réfléchit bien, la discussion porte sur une confusion entre deux prénoms, entre deux apparences.

Turner (David Swift) est un « diabolical mastermind » [cerveau diabolique] de grande classe. Son obsession pour l’or est palpable, et son indifférence au charme de Purdey stupéfiante : « You’re very beautiful but in my eyes worthless » [Vous êtes très belle, mais sans valeur à mes yeux]. L’évocation de l’or est synonyme d’orgasme pour Turner lorsqu’il compare ses statuettes à Purdey : « The pleasure of the flesh has never had a great attraction to me » [Les plaisirs de la chair ne m’ont jamais attiré].

Deux scènes de l’épisode sont inoubliables : celle de la soirée costumée, aux allures d’orgie et de cauchemar grand-guignolesque, où Midas, le masque de la mort sur le visage, vient se laver les mains dans le punch et répand la mort autour de lui (je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les témoins de cette scène peu ragoûtante continuent à se servir après cela !). Le rouge des spots et le costume endossé par Midas soulignent la référence à l’excellente nouvelle d’Edgar Allan Poe, Le Masque de la Mort Rouge, et à la non moins excellente adaptation cinématographique par Roger Corman.

L’autre séquence à souligner est celle de la poursuite de l’aéroport à l’entrepôt : Purdey escaladant le grillage est un des meilleurs moments de cette saison. Ce moment d’anthologie a d’ailleurs été repris pour le générique, et ce choix s’avère très judicieux.

L’un des ressorts dramatiques de l’épisode porte sur les apparences trompeuses, comme nous l’avons souligné. Midas a le physique d’un Apollon, l’innocence incarnée. Son nom est également source de confusion : il ne transforme pas en or tout ce qu’il touche, mais donne la mort, transforme en cadavres. Turner, maître des transformations, porte bien son nom : il est (étymologiquement) celui qui transforme tout, y compris la légende de Midas ! Comme dit le proverbe, tout ce qui brille n’est pas d’or. Et pourtant, il y a un jeu des apparences dans cet épisode qui piège le spectateur : le rat / Midas (dans une des premières scènes, on pense chasser un homme, mais c’est un rat qu’on chasse en réalité), the fat man (Hong Kong Harry, dont le nom, avec ses allitérations, sonne de manière humoristique), qui est en fait gonflé avec des sacs remplis d’or, etc.

Toutes ces scènes font de cet épisode un classique des New Avengers : la chasse de l’introduction que l’on pense être à l’homme, la discussion sur Le Trésor de la Sierra Madre en pleine poursuite, l’or s’échappant des « blessures » de Hong Kong Harry, Purdey effectuant un parcours du combattant, Gambit maîtrisant Choy, le garde du corps « Grade B »… Toutes ces scènes sont des gimmicks, la marque de fabrique de la série.

L’humour dans la série est peut-être le plus accompli dans la quatrième et la cinquième saison, mais, contrairement à certaines critiques, je ne pense pas que The New Avengers en soit totalement dépourvue. Steed, répondant à Miss Sing qui lui souhaite beaucoup de fils : « Of course, if you were prepared to become personally involved in the event… » [Bien sûr, si vous y êtes personnellement impliquée] ; les répliques suivantes (Purdey : « Steed, you’re becoming a roué » [Steed, vous devenez un débauché] ; Steed : « an optimist ! ») sont très humoristiques ! Avant la rencontre avec « Fat Harry », Steed fait preuve d’un machisme léger à propos de son rendez-vous galant raté : « I’ve something thinner in mind! » [J’ai quelque chose de plus mince en tête] ; Purdey, quant à elle, est une femme libérée avec l’instructeur militaire : « Where would you prefer me ? In the kitchen ? In bed ? » [Où me préféreriez-vous ? À la cuisine ? Au lit ?].

Certes, cet épisode n’est pas parfait, mais certains thèmes ou idées sont très bien traités. Par exemple, le plan pour « empoisonner » une princesse par le biais d’un baise-main est peut-être un peu tiré par les cheveux, mais la ruse est conforme à l’idée-force de l’épisode : une princesse est sur le point d’être assassinée par le protocole (le respect des apparences), par un simple toucher… Un scénario plus machiavélique aurait pu être envisagé, au vu des capacités de Midas : « the Midas touch » étant en fait « the touch of death » !

Certes, il y a quelques incohérences, ou plus exactement des « trous » dans le scénario, des ellipses, des questions sans réponses, mais cet épisode est excellent et digne des meilleurs opus de la période précédente, si l’on compare les New Avengers aux Avengers, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. On y apprend que Gambit a été pilote de course, ce qui ajoute un détail supplémentaire à sa biographie. Purdey, quant à elle, reste un mystère : « Miss? Mrs? », « Just Purdey ! » – [Mademoiselle ? Madame ? Non, juste Purdey !]. Voir John Steed avec une fille qui semble être une « poule de luxe », méprisante et muette, choque un peu : le Steed des années 60 a irrémédiablement changé, il semble avoir perdu en subtilité, mais reste néanmoins un homme d’honneur. En outre, il ne lui ressemble pas de demander des médailles. Il est généreux, mais manque cette fois de tact, blessant involontairement l’orgueil de l’agent déchu en glissant sa main dans son veston. Pas de seconde chance dans la vie, ni même de deuxième chance… C’est la morale de cet épisode. Le suicide de Freddy, qui veut échapper à l’inévitable, est dénué de pathos, et cette scène est peut-être le climax de l’épisode, bien qu’elle soit loin de la fin. Il refuse la transformation (en cadavre) et restera lui-même.

La citation de l’épisode : « Yes, Mr Gambit. They died of everything. »

En bref : Un très bon épisode, digne de l’âge d’or, doté d’un scénario assez cohérent avec la thématique indiquée par le titre.